Nous saluons la mémoire de cette scintillante et lumineuse mosaique qu'a été et que continue d'être Aimé Césaire, chantre de la Négritude, homme de coeur et de conviction! A tout Seigneur, tout honneur, l'hommage que nous lui rendons passe par les mots de son "frère" et "ami", Léopold Sédar Senghor, mots que nous pouvons faire nôtres, aujourd'hui et pour toujours!
Nicolas-Simel
LETTRE À UN POÈTE
A AIME CESAIRE

Au frère aimé et à l’ami, mon salut abrupt et fraternel!
Les goélands noirs, les piroguiers au long cours m’ont fait goûter de tes nouvelles
Mêlées aux épices, aux bruits odorants des Rivières du Sud et des Îles.
Ils m’ont dit ton crédit, l’éminence de ton front et la fleur de tes lèvres subtiles
Qu’ils te font, tes disciples, ruche de silence, une roue de paon
Que jusqu’au lever de la lune, tu tiens leur zèle altéré et haletant.
Est-ce ton parfum de fruits fabuleux ou ton sillage de lumière en plein midi?
Que de femmes à peau de sapotille dans le harem de ton esprit!
Me charme par-delà les années, sous la cendre de tes paupières
La braise ardente, ta musique vers quoi nous tendions nos mains et nos cœurs d’hier.
Aurais-tu oublié ta noblesse, qui est de chanter
Les Ancêtres les Princes et les Dieux, qui ne sont fleurs ni gouttes de rosée?
Tu devais offrir aux Esprits les fruits blancs de ton jardin
- Tu ne mangeais que la fleur, récoltée dans l’année même, du mil fin
Et ne pas dérober un seul pétale pour en parfumer ta bouche.
Au fond du puits de ma mémoire, je touche
Ton visage où je puise l’eau qui rafraîchit mon long regret.
Tu t’allonges royal, accoudé au coussin d’une colline claire,
Ta couche presse la terre qui doucement peine
Les tamtams, dans les plaines noyées, rythment ton chant, et ton vers est la respiration de la nuit et de la mer lointaine.
Tu chantais les Ancêtres et les princes légitimes
Tu cueillais une étoile au firmament pour la rime
Rythmique à contretemps; et les pauvres à tes pieds nus jetaient les nattes de leur gain d’une année
Et les femmes à tes pieds nus leur cœur d’ambre et la danse de leur âme arrachée.
Mon ami mon ami – ô! tu reviendras tu reviendras!
Je t’attendrai – message confié au patron du cotre – sous le kaïcédrat.
Tu reviendras au festin des prémices. Quand fume sur les toits la douceur du soir au soleil déclive.
Et que promènent les athlètes leur jeunesse, parés comme des fiancés, il sied que tu arrives.
Léopold Sédar Senghor
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